La maison de vente aux enchères Briscadieu Bordeaux en partenariat avec notre Cabinet d’Expertise présente une oeuvre majeure de Alexandre – François Desportes
» Cette nature morte de la main de François Desportes se hisse au plus haut niveau de son art et constitue sans nul doute l’un des chefs-d’œuvre de l’artiste. »
ALEXANDRE-FRANCOIS DESPORTES (1661-1743)
Nature morte au trophée de gibier, fruits et perroquet sur fond de niche
Toile
102,5 x 83 cm
Signée Desportes et datée 1716 sur la droite.
Restaurations anciennes
Cadre en bois sculpté doré, travail français d’époque Louis XIV
Estimation : 150 000/200 000 €
Historique : Probablement vente, Paris, Etude Delestre, expert Féral, 23 janvier 1888, n° 15 : « Nature morte de fruits et gibier mort, hst, signée Desportes et datée 1716. Des pommes, des oranges, des grenades, et autres fruits dans une vasque de marbre ; au dessus, des canards, une perdrix, un lapin suspendus en haut d’une niche cintrée » ; collection particulière.
– Sur fond de niche en marbre, ornée en son centre d’un motif de dauphin en bronze doré, sont attachés par les pattes un lièvre, une perdrix grise, deux canards col-vert, une sarcelle d’hiver (ou canard sifleur ?) et un vanneau. En-dessous dans la vasque en marbre trilobée de ce qui pourrait être la base d’une fontaine sont assemblés, à droite, une corbeille en osier contenant des bigarades, oranges amères et une grenade éclatée, le tout piqué d’une branche d’oranger, et, à gauche, un bol en porcelaine de Chine monté en bronze doré contenant des pommes Calville sur lesquelles est perché un perroquet gris du Gabon, qui observe ce trophée de gibier. Situées à même la vasque, des pommes d’Api, deux poires de Bon-Chrétien et une grenade éclatée complétent cette composition.
L’assemblage de gibier, association de plumages, pelage, savamment rythmées, s’impose d’emblée tout en s’intégrant harmonieusement à la composition grâce aux emplacements choisis des divers détails d’ailes, pattes et oreilles du lièvre, qui viennent à propos donner éclat et dynamisme à cette réunion d’animaux à la touche chatoyante et vibrante.
Le perroquet gris du Gabon vient faire le lien entre la partie supérieure et celle inférieure agrémentée de fruits, aux diverses nuances de rouge auxquelles les pattes des animaux viennent faire un écho délicat ; de même, les nuances de bleu-gris du corps des animaux trouvent un contre-point dans le bol de porcelaine, ceci donnant rythme et unité à l’ensemble.
D’autre part, un jeu de courbes et contre-courbes (niche, corbeille, coupe, rebords de la vasque) permettent de révéler toute la profondeur de cette composition.
Fruits et animaux occupent une fontaine sans eau, scène éphémere de la représentation d’une nature exubérante au sein de laquelle le perroquet régne en maitre de l’instant.
Ce motif du dauphin ainsi que celui de l’anse en bronze dorée de la coupe en porcelaine n’est pas sans nous évoquer l’œuvre de l’architecte et ornemaniste Gilles-Marie Oppenordt. Deux études, conservées dans le fonds de l’atelier de Desportes à la manufacture nationale de Sèvres, que je date vers 1710-1720 (Catalogue raisonné, Paris, 2010, n° P 496, P 497, cette dernière d’après un modèle de rampe d’escalier d’Oppenordt), sont dans un esprit très proche des élements décoratifs de notre tableau.
En 1716, l’activité essentielle de Desportes se trouvait être pour le Régent qui venait de s’installer, après la mort de Louis XIV, au Palais Royal. Dans les premiers mois de 1716, le Régent avait demandé à Oppenordt, d’agrandir et mettre au gout du jour ses appartements. Nous ne pouvons exclure que cette fontaine à décor de dauphin puisse avoir été copiée par Desportes d’après un modèle nouvellement créé pour le Palais Royal.
Par ailleurs, au sein de cette même demeure, nous savons que Desportes avait réalisée cette même annone au moins trois tableaux pour une « cuisine particulière » ou le Régent faisait lui- même des essais de cuisine. Deux sont connus (Cat. rais., n° P 584 et P585) et notamment l’étonnante Nature morte de gibier prête à mettre en broche (Paris, musée de la chasse et de la nature) dans laquelle nous retrouvons un perroquet gris du Gabon (le même probablement que celui de notre tableau).
La troisième peinture, non localisée, est connue par une brève description, « toutes sortes de légumes », dans la biographie que Claude-François Desportes consacra à son père.
Ce faisceau d’élements exposés, ajoutés à l’extrême raffinement de la composition, m’incitent à penser que cette nature morte pourrait avoir été destinée aux appartements du Régent au Palais Royal. Cependant, la brève description de Claude – François Desportes ne permet pas, par le sujet mentionné, de la rapprocher de ce tableau et aucun document écrit ne peut me permettre de l’affirmer ; cela reste donc une hypothése.
Quelle que soit son éventuelle provenance royale, cette nature morte de la main de François Desportes se hisse au plus haut niveau de son art et constitue sans nul doute l’un des chefs- d’œuvre de l’artiste.
Cette peinture sera incluse au supplément du catalogue raisonné de l’œuvre de François Desportes (1661-1743), actuellement en préparation.
Nous remercions Monsieur Pierre Jacky, spécialiste de l’artiste, pour la rédaction de la notice ci-dessus.
« Que la fête commence… ! »
Notre tableau permet d’évoquer la figure du régent Philippe d’Orléans (1674-1723), bon vivant, jouisseur de tous les plaisirs terrestres, n’en refusant aucun, gourmand des bonnes tables, libertin avec les femmes, comme cela a pu être évoqué dans le film « Que la fête commence …» (Bertrand Tavernier, 1975).Il est aussi reconnu comme l’un des plus grands collectionneurs et mécène de son époque, possédant des chefs-d’œuvre absolus de la peinture aujourd’hui dispersés. Au Palais-Royal, il a installé sa cour, les fêtes offficielles cotoient les soupers galants et les bals de l’Opéra installés sur place. Le Régent méne au sein de son palais une vie dissolue en parallèle de sa charge, se montrant parfois « dans un état peu convenable » pour reprendre les mots de Saint-Simon.
A cette époque, on note un changement des arts de la table toujours plus en fastueux : les premères salles à manger apparaissent, la faience et la porcelaine émergent sur toutes les tables à la mode. De grands gastronomes, François Massialot ou Menon imposent leurs goûts, et de nouvelles recettes se popularisent comme la crème chantilly, la mayonnaise ou le champagne. Le duc d’Orléans aime la chasse et convie Desportes à de nombreuses occasions à peindre des scènes cynégétiques, ou des trophées. La régence marque la transition entre la période austère des dernières années de Louis XIV avec Mme de Maintenon et le 18e siècle, un moment de grâce et d’insouciance du savoir-vivre à la française.
Le motif du dauphin sur la fontaine est probablement une allusion à Marie-Louise Elisabeth d’Orléans (1695-1719), fille du Régent et épouse de Charles de France, duc de Berry, lui-même ls du Grand Dauphin, Louis. Elle se faisait appeler Mademoiselle et a fait sculpter un décor de ces animaux marins sur le cadre de son portrait de Largillière (ancienne collection Thierry de Chirée). Un tableau commandé par son père à Desportes pour le lui offrir (1717, Lyon, musée des Beaux-Arts, Catalogue raisonné, op. cit., n° P 613), destinée à la salle à manger de son chateau de La Muette, comporte aussi une fontaine ornée de quatre dauphins.
Notre toile constitue une charnière dans l’histoire de la nature morte française, abandonnant les modles amands et annonçant Oudry et Chardin.
Source : Briscadieu Bordeaux Maison de vente aux enchères – Catalogue de la vente aux enchères du 28 mars 2020
La grande illusion
Entre trompe-l’œil et nature morte, cette toile affiche
avec virtuosité le talent de François Desportes.
Une œuvre digne de son possible commanditaire… le régent Philippe d’Orléans.
PAR CAROLINE LEGRAND
Si notre illustre peintre étoit estimé et considéré du feu roi, il ne l’étoit pas moins de feu Monsieur le duc d’Orléans, régent du royaume. Tout le monde sait jusqu’à quel point ce prince éclairé connoissoit et chérissoit tous les beaux-arts et spécialement celui de la peinture», écrit Claude-François Desportes dans l’ouvrage qu’il consacre à son père, en 1748, retranscrit en 1854 par Chenneveres. Malgré son physique ingrat – il était petit et rouge de teint – et ses mœurs jugées impies par l’église, le Régent était un grand amateur d’art, de musique et de peinture, aidé en cela par son premier peintre Antoine Coypel. En 1716, année dont est datée cette nature morte de François Desportes, Philippe d’Orléans (1674-1723), récemment installé au Palais-Royal suite à la mort du Roi-Soleil, décide de remettre au gout du jour ses appartements avec l’aide de son architecte Gilles-Marie Oppenordt. Pour ses représentations d’animaux, il s’adresse comme d’habitude à son cher François Desportes, grand habitué des commandes royales, qu’elles soient de Louis XIV à Marly ou de Louis XV à Compiégne et Choisy. Le peintre détenait dans son atelier des dessins de motifs ornementaux d’Oppenordt dont il s’inspirait. Celui du dauphin apparait dans notre œuvre. Présent sur le fond, en partie basse de la niche, il fait certainement allusion à Marie-Louise Elisabeth d’Orléans (1695-1719), fille du Régent et épouse de Charles de France, duc de Berry et lui-même fils du Grand Dauphin, Louis.
Par ailleurs, pour une « cuisine particulière », le grand gastronome et amateur de bonne chère qu’était le Régent «faisoit quelquefois par divertissement de légers essais de cuisine » – selon Dezallier d’Argenville –, le peintre réalisa plusieurs compositions dont un tableau de gibier mort sur fond de niche et un dessus de porte, Nature morte de gibier prete à mettre en broche, dans lequel un perroquet gris du Gabon était perché sur un cuivre. Autant de similitudes avec notre toile bientôt en vente. «Ce faisceau d’élements exposés, ajoutés à l’extrême raffinement de la composition, m’incite à penser que cette nature morte pourrait avoir été destinée aux appartements du régent au Palais- Royal», écrit le spécialiste Pierre Jacky, auteur de l’ouvrage Desportes (Editions Monelle Hayot, 2010).
Quelle que soit sa provenance, cette toile demeure un chef-d’œuvre, tant dans l’utilisation du trompe-l’œil – l’artiste élabore dès 1703 sa version toute personnelle des natures mortes devant des niches développées au XVIIe aux Pays-Bas – que dans le rendu du perroquet, du gibier (un lièvre, une perdrix grise, deux colverts, une sarcelle d’hiver et un vanneau) et des fruits (bigarades, grenades éclatées, pommes d’api et poires de bon-chrétien), dont les variations de couleurs, pelages, plumages et textures conférent son incroyable dynamisme au tableau. Tout le génie de François Desportes réside ainsi dans sa virtuosité baroque, héritée de la tradition flamande, qu’il a su atténuer par un saisissant réalisme, perfectionné toute sa carrière au travers de nombreux dessins réalisés sur le motif. Un travail d’après nature qui fait toute la différence !
A savoir
Samedi 28 mars, Bordeaux. Briscadieu OVV. Cabinet Turquin.
VENTE REPORTÉE
Source : LA GAZETTE DROUOT N° 11 DU 20 MARS 2020