L’Etat renonce à acquérir le tableau du Caravage découvert à Toulouse

par Interencheres

Après l’avoir classé « Trésor National » en 2016, l’Etat vient d’annoncer qu’il ne se porterait pas acquéreur du tableau du Caravage retrouvé dans la soupente d’une maison près de Toulouse, avant de préciser qu’il délivrait un certificat de libre circulation. Les propriétaires toulousains décideront ou non de sa mise en vente à l’issue de la restauration en cours. Dans l’attente du verdict, retour sur cette découverte marquante de l’histoire de l’art…
 
Un Caravage découvert au fond d’un grenier
En avril 2014, Maître Marc Labarbe et le cabinet Turquin découvraient, caché dans un grenier toulousain, un tableau exceptionnel figurant Judith et Holopherne. « J’avais été sollicité par une famille de la région qui, suite à une fuite d’eau, avait découvert, derrière une soupente scellée et adossé à un matelas, un tableau imposant », confie Maître Marc Labarbe. Arrivé sur les lieux, le commissaire-priseur se souvient avec émotion de sa première confrontation avec l’œuvre. « Elle semblait recouverte d’un écran de fumée. Mais malgré ce brouillard, la beauté des personnages m’a tout de suite frappé. » Se munissant d’un coton légèrement humide, il tente alors de nettoyer la surface peinte. Au gré de minutieux mouvements circulaires, il découvre sous la poussière le visage marqué de la servante et ses yeux perçants, saisissants. Convaincu de faire face à une toile de l’école du Caravage, il envoie une photographie à l’expert Eric Turquin qui ne tarde pas à répondre : « Marc, tu as trouvé un beau tableau ». Quelques jours plus tard, la toile rejoint Paris par transporteur. « Les experts du cabinet Turquin m’ont alors confié avoir eu un véritable coup à la poitrine devant la beauté de l’œuvre, poursuit Maître Marc Labarbe.  Eric Turquin qui l’avait d’abord estimé autour de 60 000 euros, monte jusqu’à 500 000 euros. Puis au fil de recherches et d’analyses scientifiques, l’authentification se précise jusqu’au jour où Eric Turquin m’appelle pour m’annoncer qu’il s’agit d’un Caravage. J’ai pleuré d’émotion. »

 
Un secret bien gardé durant deux ans
Pour les experts du cabinet Turquin, l’attribution ne fait plus aucun doute. Pourtant, la découverte demeure secrète jusqu’en 2016. « En mars, le ministère de la culture a décidé de classer le tableau Trésor national, empêchant durant trente mois toute sortie du territoire français. Le journaliste Didier Rykner a alors eu vent de l’existence de ce Caravage en lisant le journal officiel consignant cette décision gouvernementale. Après la publication de son article, nous avons décidé d’organiser une conférence de presse au plus vite afin de maîtriser la communication sur le tableau. » Durant deux ans, le commissaire-priseur et les experts auront ainsi gardé le secret. « Nous souhaitions poursuivre nos recherches sans pression. Ces deux années nous ont servi à enquêter et à consolider l’authentification. La joie d’avoir trouvé un Caravage était si grande que j’ai eu beaucoup de mal à ne pas révéler la découverte. Surtout lors d’un voyage à Naples entre confrères au cours duquel nous nous sommes retrouvés devant la copie du tableau peinte par Louis Finson et conservée à Naples. Je me suis mordu les joues pour ne pas leur raconter que j’avais trouvé l’original ! »

Un tableau disparu depuis quatre siècles
A Naples, une toile figurant Judith décapitant Holopherne est exposée au palais Zevallos. Propriété de la banque Intesa San Paolo, elle fut peinte en 1607 par Louis Finson, un peintre et marchand originaire de Bruges. « Nous savons qu’il s’agit d’une copie d’une œuvre perdue du Caravage, explique Eric Turquin. En effet, en 1607, Caravage fuit Rome où il est accusé d’assassinat et se réfugie à Naples, ville alors espagnole. Là, il confie à son marchand Louis Finson une toile figurant Judith et Holopherne. Une lettre dévoile que l’œuvre est alors mise en vente pour 300 ducats d’or, une somme exorbitante. Une autre lettre révèle qu’à sa mort en 1617 à Amsterdam, le marchand lègue le précieux tableau à son ami et associé Abraham Vink. » A partir de là, la trace du tableau se perd. « Jusqu’à notre découverte à Toulouse, il ne demeurait que la copie de Louis Finson. Nous avons retrouvé le tableau que nous cherchions tous ».
 
Une toile qui suscite les passions
Si le cabinet Turquin est convaincu de l’attribution, certains spécialistes demeurent sceptiques. « Ils pensent qu’il s’agirait d’une nouvelle copie de Louis Finson et avancent pour cela l’écriture trop exacerbée de la toile, poursuit Eric Turquin. Mais c’est un tableau expérimental dans lequel Caravage tente de nouvelles choses. Au cours de sa vie, l’artiste change à de nombreuses reprises sa façon de peindre. Lorsqu’il arrive à Naples, sa peinture évolue, elle est de plus en plus crispée. Il va à l’essentiel et simplifie l’éclairage. » Pour Rossella Vodret, spécialiste du maître du clair-obscur, la technique correspond en tous points à celle du Caravage. « Elle a mené des études approfondies sur le tableau et ne comprends pas la réserve de ses confères. Pour elle, la matière, les pigments sont autant d’éléments qui nous conduisent vers Caravage. » Depuis 2016, les spécialistes affluent au cabinet Turquin pour découvrir la toile. Parmi eux, Keith Christiansen, chef du département d’art européen au Metropolitan Museum de New York et Nicola Spinosa, directeur du musée napolitain de Capodimonte, rejoignent l’avis des experts. La tension dramatique qui se dégage de l’œuvre ne peut être que la marque du Caravage. « Le maître soulève les passions et c’est bien normal si l’on songe au faible nombre de toiles qui nous sont parvenues jusqu’alors. En effet, nous n’en connaissons aujourd’hui que soixante-quatre, ce qui rend notre découverte d’autant plus importante.» Si elle était proposée en vente aux enchères, cette toile inestimable pourrait ainsi atteindre 120 millions d’euros selon les spécialistes. « L’Etat a renoncé à l’acquérir en grande partie à cause de son prix. La décision de sa mise en vente appartient désormais aux propriétaires de l’oeuvre. Mais aucune décision ne sera prise, que ce soit sur le lieu, la date, ou les modalités de la vente, tant que la restauration, qui vient de débuter, ne sera pas terminée.»

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